Chandler Burr
Lorsqu’ils s’élèvent au-dessus du lot de la vulgarité promotionnelle des produits commercialisés à grande échelle, ou même au- dessus de certains grands produits, les parfums sont des œuvres d’art.
Seules les productions cinématographiques, en tant qu’autres grands médias artistiques, bénéficient de campagnes de promotions aussi soignées que celles du parfum. C’est pour cette raison que Paris et New-York rivalisent d’agences de communication capables de se mesurer avec celles de Hollywood. Et si l’on compare le lancement d’un produit à un périlleux exercice de haute voltige, sur fond de budgets vertigineux, on comprend pourquoi les communicants ont besoin de se cramponner à n’importe quelle saillie dans la roche, pourvu qu’elle les retienne de plonger dans le vide. Pourtant, il existe en marketing un cliché qui, je pense, s’avère faire plus de mal que de bien : ce sont ces deux paragraphes de Proust et sa fichue madeleine.
Non seulement ce cliché est devenu une parodie, mais la ficelle Proustienne réduit les parfums à du Prozac, ou à de la métamphétamine. Un parfum n’est pas un échange biochimique entre les cellules de la mémoire du cortex frontal et une substance pharmaceutique.
Bien sûr, les parfums sont des clepsydres à remonter le temps. Ce sont des déclencheurs de souvenirs, parfois extrêmement puissants. Des instruments de nanotechnologie mnémonique. Quand le chloroforme dissout la conscience, la molécule de parfum, elle, éveille le souvenir.
Mais en réalité, les parfums n’ont ce pouvoir qu’à la condition d’être avant tout de grands parfums, et qu’on leur donne le temps de rentrer dans l’histoire. Il est impossible de se remémorer un instant du passé si le parfum qui y est associé n’a pas été respiré dans cet instant passé.
Et c’est là, justement, qu’un parfum atteint le statut d’icône, c’est lorsqu’il reste en tête des ventes pendant des décennies, ou bien toute une vie. Car c’est en ça qu’un parfum est une grande œuvre d’art. Je me souviens de l’interdit de Givenchy, car c’était le parfum du baiser quema mère me donnait avant de sortir le soir. Aujourd’hui, à 47 ans, je sais que ce parfum a joué un rôle dans ma vie. Et il est assez sublime pour être toujours sur le marché.
Alors arrêtons de brandir la madeleine de Proust à la tête des gens. Faisons en sorte que nos enfants achètent à leur tour ces œuvres d’art qui avec le temps, leur matière et leur talent seront devenues inoubliables. Puissent ces mécaniques de parfum un jour réclamer ce qui leur est dû au plus profond de nos cerveaux. Elles seules peuvent revendiquer ce droit.
When they rise above cultural commercial trash and even above great commercial product, perfumes are works of art.
Film is the only other major artistic medium as thoroughly commercialized as scent. Because of this, Paris and New York have marketing armies equal to Hollywood’s, and given the deadly landslides of launches down mountains of PR dollars, one understands the marketer’s impulse to find a toehold — any toehold — that will keep you on the rock face. There is however one marketing cliché I think does much more harm than good: these two paragraphs from Proust about his damn madeleine.
It’s not just that it has reached the level of parody. The Proust gambit reduces perfumes to Prozac, or methamphetamine for that matter.
A perfume is not a psychopharmaceutical acting on the frontal cortex’s memory cells. Of course perfumes are liquid time machines. They are memory triggers, often extraordinarily powerful ones. Nanotechnology mnemonic devices. Where chloroform dissolves consciousness, scent molecules awaken remembering.
But the point is that they only work if, first, they’re great and, second, if they’re given time. You can’t have a remembrance of a thing past until it’s in your past that you smelled that thing. Not incidentally this is what an iconic perfume is, one that stays at the top of the list for decades, or a lifetime, because it’s a great work of art on its own terms. I remember L’interdit from Givenchy because it was the smell of my mother’s kiss before she left for a party, and it plays a role in my life at age 47 because it’s great enough that it’s still here.
How about we not throw Proust’s madeleine at people. How about we make works of art of materials and by talents great enough that our children still buy them. Let these machines of scent lay claim to the depths of the brain. They’re the only things that really can.
Photography by Martine Fougeron
Photographie de Martine Fougeron