Gilles Bransbourg
La botte masculine – qui semble associée depuis des temps immémoriaux à la chose militaire – ne servait pourtant à l’origine qu’à tenir chaud.
L’homme des neiges retrouvé dans les Alpes tyroliennes en est le témoin archéologique involontaire. Le soldat professionnel, produit des premières sociétés organisées, évoluait dans les zones tempérées de l’Orient et de la Méditerranée et se devait d’être aussi léger que possible. L’égyptien attaque pieds nus, le romain en sandales cloutées. La botte n’est pas encore nécessaire ; le fantassin assyrien dispose d’une cuirasse qui lui descend jusqu’aux pieds, les hoplites grecs sont munis de jambières, les légionnaires de Rome se protègent derrière leur long bouclier, et les lourds cavaliers Sarmates ainsi que leurs chevaux sont entièrement recouverts d’une armure.
Tout change lorsque les cavaliers des steppes apportent avec eux l’étrier. Désormais, les hommes de Charles Martel peuvent faire corps avec leur cheval pour charger. La botte s’enfonce dans l’étrier, fournit au chevalier son assise puis se recouvre d’acier. Le piéton est alors balayé des champs de bataille de l’Europe jusqu’à
la revanche de la piétaille flamande et anglaise sur le chevalier français, à Courtrai, Poitiers, Crécy et Azin- court. Si les cavaliers des temps modernes s’allègent ensuite pour gagner en mobilité face aux armes de jet puis à feu, ils conservent néanmoins la botte, plus visible que jamais, aboutissement noir et lustré des uniformes chamarrés qui ne connaissent pas encore la nécessité du camouflage. Cheval, étrier et bottes constituent la trinité de la reine des batailles, portée à son apogée tactique par Napoléon.
Mais l’alliance du feu et du moteur permet le char d’assaut, qui emporte la décision de 1918. La leçon est ensuite oubliée par ses inventeurs, et ce sont les officiers allemands, malgré le port déjà anachronique de la botte, qui finissent de remplacer le cheval par la division blindée. Puis la particulière décontraction des soldats américains de la Libération évacue finalement la botte de l’univers pratique de la guerre. Si les dictateurs nostalgiques de l’Amérique latine et les troupes des états communistes paradent encore bottés, son usage opérationnel se réduit de nouveau aux climats froids d’où elle était venue.
Il ne reste désormais qu’une légende, des images et quelques parades élégantes pour rappeler qu’avant de rendre désirable la silhouette des femmes, la botte A été un redoutable instrument au pied des hommes.
The masculine boot – which seems to have been associated with all things military since time immemorial – was originally just used to keep feet and legs warm.
The Tyrolean Alpine snowman is an involuntary archeological testimony to that. The professional soldier, who was a product of the first organised societies, evolved in the Near-Eastern and Mediterranean temperate climates and had to be as light on his feet as possible. The Egyptians attacked barefoot, the Romans in hobnailed sandals. The boot was still not fundamentally necessary at this point since the Assyrian infantryman wore a cuirass that reached down to his feet, the Greek hoplites had tough leggings, Roman legionaries were protected behind their long shields and the Sarmathian heavy cavalry and their horses were covered from head to toe in armour.
Everything changed when the horsemen of the Steppes brought the stirrup with them. From this moment on, the warriors of Charles Martel were better able to grip to their horses in order to charge. The boot was pushed down into the stirrup, giving the horseman a firm seat and then was covered with steel. Thenceforth the infantry was swept off the battlefields of Europe by cavalry right up until the revenge of the Flemish and English military rank and file on the French knight, at the battles of Courtrai, Poitiers, Crécy and Agincourt.
Although more modern riders became lighter so as to gain mobility against discharging weapons and then firearms, they still nonetheless kept the boot, which became more visible than ever, ending up black and shiny as part of the tasselled uniforms that were not yet required to serve as camouflage. Horse, stirrups and boots constituted the trinity of the queen of battles, which was brought to its tactical apogee by Napoleon.
However, the combination of fire and motor allowed the inexorable rise of the assault tank, which proved so decisive in concluding the Great War. While the lesson was forgotten by those who invented it, the German officer corps, despite its already anachronistic bootwearing, ended up replacing the horse with the armoured division. Finally the particularly laid-back attitude of the American soldiers liberating Europe ultimately led to the boot being ousted from the practical arena of war. Although nostalgic dictators of Latin America and the troops of communist states still parade in boots, their operational use is nowadays limited to the cold climates from whence they came.
Now only the legend, certain images and some elegant parades remain to remind one that before being used to make the feminine silhouette desirable, the boot was a redoubtable instrument at the feet of men.